Comment
la Belgique a-t-elle livré son
citoyen Kimyongür aux Pays-Bas
pour satisfaire le régime répressif
d'Ankara?
Le Soir du 19 septembre
2006
La Belgique fournisseur
de la Turquie
Une réunion secrète du gouvernement Verhofstadt a organisé la
livraison d'un ressortissant belge à la Turquie.
Le gouvernement Verhofstadt
aurait sciemment organisé la "livraison" le
28 avril dernier du ressortissant belge Bahar
Kimyongur aux Pays- Bas en vue de son extradition
vers la Turquie
Selon la version constante
des autorités belges, mise en doute
par des révélations du Soir
en mai et juin derniers, le porte-parole
(ce qu'il nie) de l'organisation turque d'extrême
gauche DHKP-C, actuellement jugé devant
la cour d'appel de Gand, aurait été arrêté "fortuitement" aux
Pays-Bas dans la nuit du 27 au 28 avril alors
qu'il se rendait à un concert à 's
Hertogenbosch.
Cette version, régulièrement
avancée par la ministre de la Justice
Laurette Onkelinx (PS), tant à la
Chambre qu'au Sénat en réponse à des
questions des parlementaires Ecolo Marie
Nagy (députée) et Josy Dubié (sénateur),
est démentie par un procès-verbal
d'une réunion classifiée "confidentielle",
tenue au centre de crise du ministère
de l'Intérieur deux jours avant l'arrestation
de Kimyongur.
Cette réunion, dont
nous avons pu consulter le procès-verbal,
s'est ouverteà 17 heures. Elle rassemblait
25 personnes, sous la présidence de
Pascale Vandernacht, chef de cabinet adjoint
de la ministre de la Justice, en charge des
dossiers de terrorisme. Y assistaient un
conseiller de Guy Verhofstadt (Premier ministre,
VLD), Eugène Dimmock ; le directeur
de la sécurité publique (Intérieur),
Alain Lefebvre ; la conseillère juridique
de Laurette Onkelinx, Pascale Petry ; l'administrateur
général ff de la Sûreté de
l'Etat, André Demoulin ; le procureur
fédéral Daniel Bernard et ses
adjoints, Johan Delmulle et Leen Nuyts (qui
requièrent contre le DHKP-C) ; des
représentants de la police locale
et d'autres directeurs de la Sûreté ou
de la police fédérale antiterroriste
dont nous tairons les noms.
Le directeur général
du centre de crise Jaak Raes, rédacteur
du procès-verbal de la réunion,
précise à l'entame des débats
: "Cette réunion a lieu à l'initiative
du cabinet Justice. Le centre de crise met
sa structure à disposition. La présidence
de la réunion est assurée par
Mme Pascale Vandernacht."
Les débats vont se
poursuivre jusqu'à 20h02. Chaque service
prend la parole. Vandernacht précise
d'emblée que la ministre de la Justice "ne
veut pas forcer les règles juridiques" dans
le cadre de la préoccupation en débat
: l'arrestation prioritaire de Bahar Kimyongur.
L'assemblée discute sur le thème " de
quelles possibilités dispose la justice
belge?". Et analyse tous les cas de
figure : "Arrêter ou interpeller
la personne ; arrêter la personne s'il
quitte le territoire et se réfugie à l'étranger".
Vers 18h, les représentants de la
Sûreté de l'Etat interviennent.
Kimyongur n'aurait pas l'intention de se
présenter au procès de Gand
(NDLR : en appel contre sa condamnation à 4
ans ferme en première instance à Bruges).
Ils annoncent que le soir même à 19h30
une surveillance sur le suspect est organisée à l'occasion
d'une conférence donnée par
le militant à l'ULB. Ils précisent
encore que, selon leurs informations, Kimyongur
a peur de se retrouver en prison. Les représentants
du parquet fédéral indiquent
ensuite aux participants qu'en droit belge "il
n'y a actuellement aucune possibilité d'arrêter
Kimyongur", ce qu'acte la représentante
de Laurette Onkelinx.
Les représentants
de la police et du gouvernement décident
alors qu'une observation des déplacements
du militant sera opérée. Et,
surtout, que le "parquet fédéral
prendra contact avec son homologue néerlandais
dans la perspective d'arrêter Kimyongur
aux Pays-Bas (
) sur base du signalement
Interpol en vue de la livraison à la
Turquie". La décision de livrer
le ressortissant belge est ainsi approuvée.
Il est décidé que le parquet
fédéral prendra les contacts
avec son homologue néerlandais, le
Landelijk Parket. LaDSU (opérations
spéciales de la police fédérale
belge) est invitée à participer
aux opérations de surveillance de
Kimyongur. Le parquet fédéral
demande aux services policiers de lui fournir
des "sitrep" (rapports) le jeudi
27 à 08h, le vendredi 28 à 12h
et à 18h. Une nouvelle réunion
d'évaluation est fixée au 3
mai, après l'arrestation.
Le chef de la zone de police
locale, impliquée dans l'opération
de surveillance, s'inquiète toutefois
: "Ne devons-nous pas prévenir
le Comité P (police des polices) et
le Comité R (surveillance des services
de renseignement)?" Pascale Vandernacht
répond que ces instances de contrôle
ne dépendent pas des ministères
de la Justice ou de l'Intérieur.
La ministre de la Justice,
que nous avons interrogée, confirme
la matérialité de cette réunion
du 26 avril. Elle nous déclare que
le procès-verbal dont nous faisons état
ne serait pas le "procès-verbal
officiel" de cette réunion. Nous
lui avons demandé de nous transmettre
ce qu'elle considère être "le
procès-verbal définitif" ;
une demande qui n'a pu être rencontrée
en raison, selon la ministre, du caractère "classifié" et "confidentiel" de
ce document.
L'échange au
Sénat entre le sénateur
Josy Dubié et la ministre Onkelinx
Voici l'échange entre Laurette Onkelinx et Josy Dubié (Ecolo),
en commission de la Justice du Sénat, le 18 mai.
o Josy Dubié : "M. Kimyongur, sur écoute, et surveillé par
la Sûreté belge, a donc, selon moi, été livré aux
Néerlandais, qui l'ont incarcéré sur la base du mandat
international turc."
- Laurette Onkelinx : "Ce
genre d'affirmation est grave"
o Josy Dubié : "Je
relate des faits. (
) Je constate que
M. Kimyongur a passé la frontière
et qu'il a été arrêté par
des policiers en civil, qui étaient
là, selon vous, par pur hasard. Ce
ne serait donc pas la Sûreté belge
qui a communiqué des informations
(
)
Je trouve simplement qu'un faisceau de présomptions
permet de penser que M. Kimyongur a bel et
bien été "livré",
je ne dis pas par vous, mais par la Sûreté belge."
- Laurette Onkelinx : "Vous
dites n'importe quoi"
Voici l'échange entre Laurette
Onkelinx et Josy Dubié en commission
de la Justice du Sénat, le 22 juin.
o Josy Dubié (intervenant suite aux révélations parues
dans Le Soir) : "Il ressort donc, Madame la ministre de la Justice, du
témoignage du procureur du Roi néerlandais que vous n'avez pas
dit la vérité lors de votre réponse à ma question
orale du 18 mai et que M. Bahar Kimyongur a bel et bien été "livré" à un
pays étranger d'où il risque d'être extradé vers
la Turquie."
- Laurette Onkelinx : "J'ai
pris connaissance, comme vous, via la presse,
des informations suivant lesquelles les autorités
judiciaires belges auraient communiqué aux
autorités judiciaires hollandaises
le fait que M. Kimyongur pourrait se rendre
aux Pays-Bas. (
) Une nouvelle fois,
je ne partage absolument pas votre analyse
selon laquelle la Belgique aurait livré M.
Kimyongur aux Pays-Bas afin de faciliter
son extradition vers la Turquie."
Le commentaire de Marc Metdepenningen: "Des
mensonges nécessaires ?"
Le sort judiciaire de Bahar Kimyongur
et de ses amis de l'organisation turque
d'extrême gauche, qualifiée
de terroriste, DHKP-C, qui a (étonnamment)
pignon sur rue à Bruxelles, nous
est indifférent. Leur procès
en appel devant la cour d'appel de Gand,
qui se poursuit actuellement, devrait déboucher
dans un mois sur des condamnations -ou
des acquittements- conformes à l'engagement
personnel de chacun d'entre eux dans leurs
activités terroristes, menées
en Turquie et préparées en
Belgique.
Ce qui nous importe est
cette longue suite de mensonges gouvernementaux,
qui ont été formulés
tant en réponse aux médias
qu'aux députés et aux sénateurs
depuis l'échappée rocambolesque
de Fehryie Erdal et l'arrestation aux Pays-Bas
de Bahar Kimyongur, ressortissant belge et
porte-parole du DHKP-C.
Depuis le 28 avril, date
de l'arrestation de Kimyongur aux Pays-Bas,
le gouvernement prétendait n'être
jamais intervenu dans la remise d'un ressortissant
belge à la Turquie, par Pays-Bas interposés.
Le contenu de la réunion gouvernementale,
que nous révélons, démontre
qu'il aurait bel et bien organisé l'arrestation
d'un ressortissant belge en vue de le livrer à une
puissance étrangère.
Ce constat, s'il se confirme,
est inquiétant. La lutte antiterroriste
est certes une priorité. Et le gouvernement
serait en droit d'invoquer la " raison
d'Etat " pour esquiver les questions
médiatiques ou parlementaires.
Eviter le débat ou se réfugier honnêtement derrière
le secret n'équivaut cependant pas à un permis de travestir la
vérité. A accepter cet écart du gouvernement dans une
affaire somme toute banale, on en arriverait à consentir que le mensonge
puisse être accepté comme paravent du pouvoir dans toutes les
affaires dont il a la charge, y compris les plus essentielles.
Les parlementaires, comme
l'opinion ou la presse, peuvent légitimement
se sentir floués par les " mensonges
nécessaires " de l'équipe
Verhofstadt. A elle de s'expliquer publiquement
sur les véritables raisons qui l'ont
conduite à proclamer le blanc pour
le noir.