Au
jour d’aujourd’hui en Belgique,
vous pouvez être condamné pour
ce que vous avez fait de mal, mais
aussi pour ce que vous n’avez
pas fait.
Dyab Abou
Jahjah en Ahmed Azzuz viennent d’être condamnés,
ce vendredi 21 décembre à un
an de prison ferme et à payer
plus de 5.000 euros de dédommagements à la
partie civile (Ethias) parce qu’ils
auraient “excité les jeunes” lors
des incidents de Borgerhout en 2002,
mais aussi parce qu’ils n’ont
pas “utilisé leur influence
pour calmer les jeunes”! |
|

Le
politologue belgo-libanais
Dyab Abou Jahjah
|
|
Si
demain vous voulez organiser une
manifestation, vous voilà prévenu… (dans
les deux sens du terme!). Mais même
dans le cas où vous n’auriez
pas organisé une manifestation,
et que vous vous joignez, tout comme
Dyab, à une manifestation spontanée
et si vous essayez, avec le charisme
qui vous est propre, de la maintenir
dans certaines limites – dans
ce cas-ci, il s’agissait de l’orienter
vers une endroit de prières – alors
vous serez jugé responsable
de tout ce qui s’est mal passé avant
votre arrivée sur le lieu de
la manifestation !
La justice joue,
littéralement, avec le feu
Sur le plan juridique, d’abord, en condamnant les activistes de la Ligue
arabe européenne (LAE) avec une ancienne loi de 1886 contre le mouvement
ouvrier, et haïe par celui-ci. Sur le plan politique, ensuite, elle donne
un dangereux signal pour le futur et pour les jeunes des quartiers populaires.
Précisément le type de signal politique qui pourrait réserver
quelques mauvaises surprises à toute la société dans les
années à venir.
Tout d’abord, les “émeutes de Borgerhout” de 2002 n’ont
pas été considérées par le tribunal comme l’occasion
de donner un signal fort sur l’origine de ces incidents, à savoir
un meurtre raciste. Le tribunal ne s’est penché que sur les incidents
eux-mêmes et cloue au pilori la réaction des jeunes ainsi que la
seule organisation de l’immigration présente à ce moment.
Pourtant, il y a cinq ans, le problème, c’étaient bien les
nouveaux meurtres racistes, et non la LAE ou Dyab Abou Jahjah.
Ensuite, ce jugement ne peut être interprété indépendamment
des révoltes des jeunes, ici ou dans d’autres pays européens.
En novembre 2005, des autos, des entreprises et des écoles ont brûlé pendant
des semaines dans les banlieues françaises après la mort de Zyed
(17 ans) et de Bouna (15 ans). Deux ans plus tard, Paris connaissait une nouvelle
explosion de violence à Villiers-le-Bel après la mort de Mouhsin
(15 ans) et de Larami (16 ans). En octobre 2007, c’était au tour
d’Amsterdam de connaître une semaine d’incendies nocturnes
après la mort de Bilal (22 ans) dans un bureau de police.
Comparée à ces événements, la réaction des
jeunes d’Anvers au meurtre raciste du professeur de religion islamique,
Mohamed Achrak (27 ans), était peu de chose. Mais le verdict du 21 décembre
2007 pourrait bien faire changer les choses. Car si les incidents de Borgerhout
n’ont pas connu l’ampleur de ceux de Paris ou d’Amsterdam,
c’est précisément grâce à l’intervention
publique des activistes de la LAE. Ce qui caractérise les révoltes
de Paris ou d’Amsterdam, c’est précisément l’absence
de toute direction organisationnelle ou de vision politique sur l’émancipation
des communautés issues de l’immigration. Ce sont précisément
ces éléments que la LAE tentaient d’apporter en canalisant,
sur le moment même, la colère des jeunes vers une mosquée,
et en proposant pour la plus long terme une vision globale d’émancipation.
Eux seuls en étaient capables auprès de ces jeunes à ce
moment précis, et c’est pour cela qu’ils reçoivent
aujourd’hui un an d’emprisonnement ! Ce n’est ni plus ni moins
qu’un encouragement à la jeunesse à réagir la prochaine
fois selon les méthodes de guérillas sur le modèle parisien
ou néerlandais.
Enfin, il y aujourd’hui fort à faire sur l’épouvantail
des “fondamentalistes islamiques”. Dyab Abou Jahjah n’est ni
un extrémiste religieux, ni un partisan d’Al Qaeda. Loin de là. La
condamnation de Dyab est la condamnation d’un homme qui a soutenu les jeunes
des quartiers populaires dans leur quête de dignité, d'auto-respect
et de prise de conscience. Il a braqué leurs yeux sur la défense
de leurs droits et de ceux des peuples arabes. Et quiconque travaille aujourd’hui
dans une prison sait à quel point ces questions sont fondamentales dans
la lutte contre la petite criminalité, une violence parfois aveugle et
une identité vacillante. La condamnation de Dyab est un coup pour tous
ceux qui travaillent dans cette perspective. Elle risque de laisser libre jeu à d’autres
forces, pourvues d’une toute autre logique, une logique destructive.
Au moment où la Belgique vient de se doter d’un gouvernement provisoire,
après six mois de combats communautaires entre Flamands et Wallons, un
message positif de réconciliation et de paix à l’égard
de la communauté belgo-arabe et de ses jeunes eût été le
bienvenu.
En lieu et place, c’est un cocktail molotov que la justice leur envoie.
Luk Vervaet, Rue Van Artevelde 161/19,
1000 Bxl. - Tél. 0478653378 |