1.
Le jugement rendu le 7 novembre dernier,
par la Cour d’Appel de Gand,
est un manifeste. Articulé autour
de 14 préventions, il s’évertue –de
la première à la dernière
de ses 202 pages– à prouver
l’indéniable dangerosité des
prévenus à l’égard
de la société et à justifier
la sévérité des
sanctions prises à leur encontre.
Les juges de Gand –en étayant
leur argumentaire de documents non
utilisés par le tribunal de
première instance (dont le verdict
ne comportait «que» 80
pages)– ont pu ainsi satisfaire
au mieux les revendications du magistrat
fédéral Johan Delmulle.
Un «manifeste»…?
Tel quel, ce document ne peut être
présenté dans sa version
brute, pour tout dire «brutale» –sans
autre forme de commentaire… Il
faudrait être, en effet, parfaitement
au courant du contexte et de l’arrière-fond
de chacun des soi-disant faits «incontestables» (établis à charge
de chacun des prévenus) pour
pouvoir en démontrer le travestissement
ou l’interprétation mensongère.
Qui plus est, un tel procès
requiert une connaissance relativement
précise des lois ici mises en œuvre
(loi sur les organisations criminelles,
loi contre le terrorisme) pour pouvoir
réfuter l’intime conviction
des juges et leurs arguments d’autorité.
Dans ce sens, ce n’est vouloir
déconsidérer ou mettre
en cause l’intelligence de quiconque,
que de mettre le lecteur en garde,
d’accompagner l’analyse
et «la démonstration» mises
en avant (par les juges, le Parquet
voire la partie civile turque) d’un
contre-argumentaire rétablissant
les faits dans leur vérité et établissant
les conditions sociales qui y ont conduit.
2.
Pour avoir une première idée
du jugement, il est évidemment
nécessaire de comprendre comment
il est construit. De manière
schématique, il se décompose
en quatre parties. Chacune d’elles
a sa propre consistance mais, ensemble,
elles s’articulent les unes
aux autres afin de se poser en récit
cohérent.
a) Les juges d’Appel
reviennent sur les considérations
préalables et procédurales
avancées par les avocats.
b) Sont proclamées
des considérations juridiques
générales : oui,
les tribunaux correctionnels sont compétents ;
oui, le tribunal de première
instance a été impartial ;
oui, la Turquie est en droit de se
constituer partie civile ; oui
le DHKP-C doit être considéré comme
association de malfaiteurs, organisation
criminelle et organisation terroriste…
C’est la partie la
plus juridique du texte (où le
savoir et l’aide des juristes
sont indispensables pour éclairer
des formulations parfois obscures)
même si elle est émaillée
d’affirmations, voire de sentences
de nature politique.
c) Enfin, viennent les éléments
tels que présentés par
la Justice pour certifier les incriminations
retenues, à savoir : les
faits et l’analyse de l’enquête ;
les liens existants entre les prévenus ;
leurs buts, la structuration de leurs
activités ; une bande… «criminelle» et «terroriste» ;
les préventions générales à charge ;
les préventions retenues contre
chacun à titre individuel…
d) Les condamnations.
3.
L’analyse de ce document touffu
est, selon les parties ci-dessus évoquées,
plus ou moins difficile (plus ou
moins facile).
Elle doit s’entreprendre à plusieurs –selon
une procédure efficace, pas
compliquée. But ? Disséquer
un texte parfois rébarbatif,
en démonter les pseudo évidences,
en démontrer la véritable
ambition (légitimer la Turquie
comme «État de démocratie» certifiée,
s’en faire l’ayant-droit
au point d’interdire de toute
possibilité de parole, de militance,
ceux qui radicalement n’acceptent
pas cette qualification contraire à toute
réalité).
«Juger le jugement»,
sans schématisme, sans simplisme…?
C’est possible puisque les faits
qui y sont convoqués sont le
plus souvent contrefaits, ou sont organisés
selon des logiques vicieuses, des convictions
inavouées et des lois dévouées.
Jean Flinker
jeanflinker@swing.be |