Vous avez certainement entendu parler de l’affaire DHKP-C, de ces militants turcs de gauche que le Parquet fédéral belge a tenté de condamner à tout prix en les taxant de terroristes et de criminels, puis que la justice a acquittés. Cette affaire a défrayé la chronique pendant toute une décennie. Tant d’années où le "terrorisme turc" n’a été associé qu’à la gauche radicale, aux vilains "cocos" venus de loin pour «déstabiliser notre paisible royaume». Ainsi, d’après Europol en 2008, 58 personnes ont été arrêtées pour terrorisme d’extrême-gauche en Europe dont près de la moitié faisant partie du DHKP-C (TE-SAT 2009, EU Terrorism Situation and Trend Report, Europol, p. 33).
Le DHKP-C, harcelé partout en Europe
Actuellement, rien qu’en Allemagne, sept militants socialistes turcs ont été arbitrairement incarcérés pour avoir exprimé leurs opinions, lesquelles ont été abusivement interprétées comme "terroristes". Plusieurs d’entre eux ont soit été lourdement condamnés comme Nurhan Erdem, Cengiz Oban ou Ahmet Istanbullu, soit ils encourent des peines très graves. Parmi eux, Faruk Ereren qui avait survécu à d’innombrables séances de torture en Turquie risque d’être extradé et livré à ses tortionnaires. Tous subissent en Allemagne des conditions de détention inhumaines (isolement total, censure du courrier, interdiction de parloirs, parloir individuel sous surveillance inquisitrice du personnel pénitentiaire, et même enchaînement, comme dans le cas d’Ünal Düzyar).
En France, le juge antiterroriste Fragnoli instruit un dossier dans lequel 17 exilés et immigrés politiques sont poursuivis arbitrairement pour leurs options philosophiques, leurs opinions et leurs liens supposés avec la gauche révolutionnaire turque.
Délit d’appartenance
En France, en Allemagne, en Belgique ou ailleurs, les procureurs antiterroristes utilisent toujours la même rengaine pour criminaliser les militants : «appartenance à une organisation terroriste» avec comme "preuve matérielle", … une collecte d'argent pour les prisonniers, une campagne politique de dénonciation des massacres et d'exécutions extrajudiciaires, l'organisation d'un concert ou d'une barbecue ou d'un pique-nique, la distribution d'un journal, etc. Toutes ces activités, relevant de la liberté d'expression et d’association, sont invariablement taxées de "terroristes". Les responsables qui coordonnent ces activités se voient, eux, "décerner" le titre de "dirigeants".
Deux poids, deux mesures
À l’inverse, les terroristes turcs de la mouvance fasciste qui, eux, assassinent journalistes, écrivains, étudiants et militants de droits humains et contrôlent le trafic d’héroïne et d’êtres humains, y compris sur le sol européen, n’ont jamais connu pareille labellisation ni pareil traitement. Jamais leurs organisations politiques ni paramilitaires n’ont figuré dans la liste des organisations terroristes. Pourtant, leur terrorisme saute aux yeux. Le 9 décembre 2000, Cafer Dereli, un jeune sympathisant anversois du DHKP-C, fut assassiné à Rotterdam par une bande de Loups Gris. Cafer Dereli menait une grève de la faim de solidarité avec les prisonniers résistants en Turquie. Ses assassins lui ont planté un poignard dans le thorax. Jamais le Parti d’action nationaliste, le MHP, ni ses filiales appelées «Foyers de l’Idéal» (Ülkü Ocaklari) ou «Fédérations turques», dont se réclamaient les tueurs, n’ont été poursuivis pour meurtre ni activité criminelle ou terroriste.
Il faut dire qu’à l’époque, en Turquie, le MHP formait un gouvernement de coalition avec les ultralibéraux du Parti de la mère patrie (ANAP) et le Parti social-démocrate d’Ecevit (DSP) dont les plus grandes réalisations "progressistes" ont été de se soumettre aux exigences du FMI et de massacrer les prisonniers de gauche (10 morts à Ulucanlar en 1999, 28 morts entre le 19 et le 22 décembre 2000, 69 morts de janvier 2000 au 18 novembre 2002, date de la fin de leur mandat).
En Belgique, comme les Loups Gris ont le pouvoir de se métamorphoser en militants ou sympathisants de divers partis représentés au parlement au gré des scrutins, des intérêts du régime d’Ankara ou pour satisfaire leurs carrières bassement matérielles, le cordon sanitaire tant vanté par nos démocrates attitrés n’a jamais été tendu autour d’eux.
Citons aussi, comme une autre illustration de la politique du ‘deux poids deux mesures’ appliqué selon qu’il s’agisse de la droite ou de la gauche turque, le fait que pendant plus de dix ans, reprenant les thèses officielles du régime d’Ankara, les autorités belges ont fait passer Fehriye Erdal pour une «tueuse au sang froid», tandis que Dame justice affute déjà son glaive en prévision de son procès en Belgique pour le meurtre de l’industriel Sabanci, sans qu’aucune preuve matérielle n’étaye cette accusation.
A l’inverse, le malfrat d’extrême droite Yalçin Özbey qui assassina le journaliste progressiste Abdi Ipekçi en 1979 et qui vit en Belgique depuis 1997 a récemment bénéficié de l’impunité conformément à l’article 104/2 du Code pénal turc qui fixe la prescription maximale à 30 ans. Jamais l’État turc n’a semblé pressé d’obtenir l’extradition de ce tueur au bras long qui est, entre autres, connu pour avoir collaboré avec certains services secrets européens dans "la lutte contre le communisme".
Appel à la solidarité
Ce traitement de défaveur manifestement motivé par des choix idéologiques, et retombée évidente de la "guerre globale contre le terrorisme", contraint de nombreux opposants politiques de gauche à vivre derrière des barreaux, dans la plus douloureuse des solitudes.
C’est pour attirer l’attention sur leur sort, semblable à celui que nous avons connu en Belgique dans le cadre de l’affaire Kimyongür-Erdal que le Comité des libertés (CL) et le Comité pour la liberté d'expression et d'association (CLEA) souhaitent conjointement vous convier à un repas de solidarité avec ces militants socialistes turcs persécutés en Europe.
Quand : Samedi 5 février à 17h
Où : Salle de Kattepoel, Av. Rogier 214 à 1030 Bruxelles (Schaerbeek)
Au programme :
- Buffet à volonté de plats anatoliens et méditerranéens pour 10 euros
- Récital avec saz
- Stands et interventions des familles et amis de détenus
Pour toute réservation :
comitedeslibertes@hotmail.com
info@leclea.be
Bruxelles, le 27 janvier 2011
Le CL et le CLEA
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